Prenant sa source au pied du château de Bouclans, le Gour est une résurgence des
plateaux environnants alimentée par un important réseau souterrain. Le ruisseau
serpente ensuite dans de nombreux méandres où il conflue à Vauchamps avec une
petite source arrivant de Osse.
À Champlive, son lit se sépare en deux bras. Le cours naturel se perd dans des
pâtures en direction de Dammartin-les-Templiers et réapparaît à Silley-Bléfond
pour finalement se jeter dans le Cusancin, puis ce dernier dans le Doubs.
Le second bras est une dérivation artificielle créée à partir de 1845 et
destinée à canaliser ses eaux pour résoudre les problèmes récurrents
d'inondations des villages de Champlive et de Dammartin-les-Templiers. Elle a
donné naissance à un nouveau ruisseau, le Rougnon, communément appelé le Rognon
par les habitants, du nom du lieu-dit où il termine son voyage à Laissey par une
très belle cascade avant de rejoindre lui aussi le Doubs quelques dizaines de
mètres plus loin.
Ces différents aménagements au cours des trois derniers siècles sont un exemple
typique de l'influence de l'homme sur son environnement et de sa volonté de
(tenter de) maîtriser les éléments.
La construction de la première galerie (1845 - 1850)
C'est en mars 1843 que les communes de Champlive et de Dammartin-les-Templiers
proposèrent un projet audacieux afin d'amener les eaux du Gour dans le Doubs
afin de régler définitivement les problèmes d'inondations de ces deux villages.
En effet, le ruisseau ne possédant pas de dévidoir naturel, l'eau disparaissait
dans un entonnoir situé à Champlive (champs lavés en patois). Lors de fortes pluies, la perte ne pouvait
absorber la totalité des eaux. Les deux villages étaient alors inondés.
Le Ministère des Travaux Publics autorisa en novembre 1845 la construction d'un
canal de dérivation de 850 mètres de long et le perçage d'une galerie en
direction de Laissey, sous la côte de Vaîte, afin de rejoindre le Doubs. Huit
mineurs creusèrent un tunnel de 457 mètres de long par ses deux extrémités.
Les travaux s'achevèrent en novembre 1850. La sortie, côté Laissey, était au
milieu de la montagne et dominait la vallée et la rivière d'une hauteur de
130 mètres !
Dès sa mise en service, de nombreux éboulements se produisirent du côté de
Laissey. Les vannes de régulation à l'entrée de la galerie, côté Champlive,
étaient régulièrement ouvertes à la fois pour empêcher le plateau d'être inondé
et pour éviter d'accomplir les tâches courantes d'entretien.
Le 18 juin 1852, le lit du Doubs fut totalement obstrué suite à un glissement de
terrain de 80 000 m3. Le moulin, situé en amont à Laissey,
fut inondé. En juillet 1854, de nouveaux éboulements et, par conséquent, une
nouvelle inondation se produisit. Pour mettre fin à ces toutes perturbations, le
Ministère des Travaux Publics prit alors une décision extrême et décida de murer
la sortie de la galerie à l'aide de pierres sur plusieurs mètres.
Le moulin poursuivit en justice les villages de Champlive et de
Dammartin-les-Templiers. En plus des nombreuses inondations qu'il subissait, le
fonctionnement de ses roues était perturbé par la montée du niveau de l'eau due
au rétrécissement du lit du Doubs. Après vingt années de bataille, le moulin
remporta ses procès et les communes de Champlive et de Dammartin-les-Templiers
furent ruinées. Cette dernière dut attendre les années 1950 pour pouvoir
élaborer à nouveau un budget municipal à l'équilibre.
La construction de la seconde galerie (1896 - 1899)
Depuis 1854 et la décision de murer la sortie de la galerie, aucune autre
solution n'avait été trouvée. Par conséquent, les problèmes d'inondations des
villages de Champlive et de Dammartin-les-Templiers persistaient.
Ce n'est que le 8 mars 1893 qu'un nouveau projet d'évacuation des eaux fut
présenté par le Service hydraulique. Il fut approuvé par le Ministère de
l'Agriculture le 5 août 1893. En octobre 1893, le Sous-préfet du Doubs sermonna
les deux communes récalcitrantes et les enjoignit à créer rapidement un
syndicat, le Syndicat de Champlive, pour réaliser les travaux prévus.
En 1894, le montant total des aménagements était estimé à 36 960 frs
réparti ainsi :
répartition des parts
montant
subventions accordées par l'État :
12 000 frs
subventions accordées par le département :
12 000 frs
part à la charge de la commune de Champlive :
6 480 frs
part à la charge de la commune de Dammartin-les-Templiers :
6 480 frs
total de la dépense de construction :
36 960 frs
En 1896, les travaux débutèrent. A la sortie de la première galerie existante,
un puits de 14 mètres fut creusé afin de faciliter l'écoulement de l'eau et
éviter son refoulement. Puis, une seconde galerie de 420 mètres de long fut
percée parallèlement au flanc de la montagne. D'une pente uniforme de
7 centimètres par mètre, elle permit de déporter plus en aval le
déversement des eaux du Gour dans le ravin du Rognon puis dans le Doubs.
Pour ne pas gêner l'exploitation de la mine de fer voisine du Jay-Rouge et
éviter les infiltrations d'eaux, 180 mètres après le début de la seconde
galerie, un deuxième puits de 11 mètres fut creusé. Ainsi, dans sa première
moitié, la seconde galerie passe au-dessus du banc de fer, puis le traverse
verticalement à mi-chemin pour repasser au-dessous du banc ferrugineux dans sa
seconde partie.
Ces travaux furent complétés par la remise en place de vannes de régulation du
débit à l'entrée de la première galerie à Champlive, la reprise de
l'étanchéification de la première galerie ainsi que l'enrochement du ravin du
Rognon jusqu'à la cascade.
Les travaux s'achevèrent en 1899. Ce tracé est celui existant actuellement et
qui aboutit à une succession de cascades spectaculaires avant de se jeter dans
le Doubs cent mètres plus loin.
Ces aménagements mirent à nouveau financièrement les communes de Champlive et de
Dammartin-les-Templiers dans le besoin. D'autant plus qu'elles remboursaient
déjà des emprunts concernant la construction de la nouvelle route de Grande
Circulation n° 30 et des deux tunnels jusqu'à Laissey. En juillet 1894,
pour faire face au remboursement des échéances du crédit contracté,
Dammartin-les-Templiers dut mettre en vente l'affouage de l'année et le
remplacer par anticipation par celui de l'année suivante. De plus, le Conseil
municipal vota une augmentation des impôts locaux de 13 centimes pour payer les
intérêts dudit crédit.
Les glissements de terrain des années 1990
Le 14 novembre 1991, de fortes pluies entraînèrent un glissement de terrain à
Laissey de 4 000 m3 de tout-venant, obstruant une partie du
lit du Doubs et provoquant la rupture d'une ligne électrique.
En fait, les galeries de dérivation n'étant plus entretenues depuis fort
longtemps et les grilles de protection du côté de Champlive étant retirées, de
nombreux débris les obstruaient : arbres, branches, pneus, tonneaux, ... Le
débit évacué n'étant plus suffisant, l'eau a donc trouvé un autre chemin pour
s'échapper. Sous la pression, une paroi du boyau de la seconde galerie céda.
Cette seconde galerie n'a pas fait l'objet des mêmes soins que la première lors
de sa construction. Étant positionnée parallèlement à la montagne, elle possède
deux points faibles :
le puits n° 2, sous-dimensionné ;
la présence de "fenêtres" qui furent utilisées pour l'évacuation des
déblais lors de sa construction et qui ont été mal rebouchées.
La taille d'origine du puits n° 2 (50 x 50 centimètres) ne
lui permet d'évacuer qu'un faible débit. En cas d'inondations, la seconde
galerie se met alors sous pression et l'eau n'a d'autre choix que de s'évacuer
par une paroi amont du boyau (en fait, une ancienne "fenêtre"). C'est notamment
à cause de lui que les glissements de terrains ont lieu.
Moins visible depuis le village, une seconde zone d'érosion s'est produite à
droite de la première. Lors de très fortes pluies, l'eau s'évacue aussi par une
bouche d'aération de la galerie au niveau du second puits. Elle rejoint le cours
du Rognon après une descente d'une centaine de mètres emmenant avec elle de
nombreux débris.
Aujourd'hui encore, bien que divers aménagements aient été effectués (nettoyage
des galeries, mise en place d'un dégrilleur à Champlive en 1995 et réparation
des parois), une chute spectaculaire apparaît lors de fortes pluies en plein
milieu de la montagne, par la paroi éventrée. Quelques éboulements se produisent
encore, bien que plus rares depuis le début des années 2000, bloquant le chemin
d'accès au Rognon et attirant les badauds.
La micro-centrale hydroélectrique est censée mettre un terme à ses éboulements
grâce à la présence d'une conduite forcée de décharge qui se déverse directement
dans le Doubs lors de fortes eaux.
L'apparition d'une perte à Champlive en 1997
En août 1997, un autre événement se produisit, cette fois-ci du côté de
Champlive. Une perte s'est ouverte cinquante mètres avant l'entrée de la
première galerie. Ainsi, lorsque le niveau du Rognon est bas, l'eau s'engouffre
dans cette perte et n'alimente plus les galeries d'évacuation. La cascade du
Rognon est alors asséchée. A contrario, lors de fortes pluies, cette cavité ne
peut absorber l'ensemble du débit et la partie aval est à nouveau alimentée. En
cas de crue, l'eau se déverse à la fois dans la cascade, mais aussi par l'actuel
éboulement.
Aussi curieux que cela puisse paraître, cette perte n'a pas été rebouchée et
s'est même fortement agrandie au fil des ans. En fait, absorbant un débit de
2 m3/s maximum, il a été jugé utile de la conserver. En cas de
fortes eaux, elle agit comme un élément de sécurité en limitant la mise en
charge des galeries d'évacuation du Gour vers Laissey.
L'effondrement du tunnel de la cascade en 2011
Au cours du mois de janvier 2011, la sortie du tunnel passant sous la route
d'accès à la cascade du Rognon et permettant au ruisseau de se jeter dans le
Doubs s'effondra. Bien que régulièrement endommagé depuis 1991 à cause des
différentes pierres emportées du second éboulement par l'eau sortant de la
bouche d'aération, aucune réfection ne fut entreprise, les différentes
municipalités concernées se rejetant toujours la responsabilité de l'entretien
des ouvrages.
Réalisé en pierres de taille, cet ouvrage d'art est malheureusement encore un
exemple du savoir-faire des anciens qui sera certainement remplacé par un
vulgaire et inesthétique tuyau en béton...
En moins de vingt ans, un siècle de maîtrise des eaux du Gour fut ainsi effacé
par les caprices et la force de la nature.
La micro-centrale hydroélectrique du Rognon
Pour résoudre les différents problèmes accumulés depuis des années, de très
nombreuses études furent réalisées depuis les années 1990 pour tenter de
réhabiliter les différents sites et garantir l'évacuation des eaux du plateau,
mais aucune n'aboutit à une proposition concrète de travaux.
Ce n'est qu'en 2008, avec l'aval de la Préfecture du Doubs, que les communes de
Laissey, de Champlive et de Dammartin-les-Templiers ainsi que la Communauté de
Communes de Vaîte-Aigremont, qui regroupe l'ensemble des communes concernées par
le problème, lancèrent un projet d'installation d'une micro-centrale
hydroélectrique. D'une capacité de 500 kW et installée à Laissey, elle sera
alimentée par une conduite forcée depuis Champlive.
Ces aménagements sont censés à la fois résoudre les problèmes d'inondations de
Champlive et de Dammartin-les-Templiers et alimenter en permanence la cascade de
Laissey, lieu de promenade auparavant apprécié des habitants et des touristes.
Chronologie des aménagements et déboires du Rognon
Au cours du XIXème siècle
date
descriptif
mars 1843
présentation du projet d'évacuation des eaux du Gour
par les communes de Champlive et de Dammartin-les-Templiers
novembre 1845
accord du Ministère des Travaux Publics pour la réalisation du projet
1845-1850
construction d'un canal de dérivation de 850 mètres de long et
perçage de la première galerie d'une longueur de 457 mètres en direction de Laissey
1850-1854
nombreux glissements de terrain côté Laissey
18 juin 1852
le lit du Doubs est totalement obstrué par un glissement de terrain de 80 000 m3
1854
nouveaux éboulements, nouvelle inondation : le Ministère des Travaux Publics décide de murer la galerie
1854-1874
procès entre le moulin de Laissey et les communes
de Champlive et de Dammartin-les-Templiers
1874
fin des procès définitivement remportés par le moulin de Laissey
8 mars 1893
présentation d'un nouveau projet d'évacuation des eaux par le Service hydraulique
5 août 1893
accord du Ministère de l'Agriculture pour la réalisation du projet
1896-1899
construction d'une seconde galerie d'une longueur de 420 mètres
afin de déverser plus en aval les eaux du Gour dans le Doubs
Au cours du XXème siècle
date
descriptif
8 juin 1953
Champlive est totalement recouvert par les eaux suite à un terrible orage
14 novembre 1991
glissement de terrain de 4 000 m3 obstruant une partie du lit du Doubs
1991 - ?
réguliers glissements de terrain côté Laissey et
réalisation de nombreuses études pour résoudre les problèmes engendrés
août 1992
nettoyage des galeries par des bénévoles
1995
mise en place d'un dégrilleur à Champlive
août 1997
apparition d'une perte côté Champlive empêchant
l'alimentation normale des galeries d'évacuation, sauf en cas de crue
Au cours du XXIème siècle
date
descriptif
2008
lancement des études pour la réalisation d'une micro-centrale hydroélectrique
janvier 2011
effondrement du tunnel passant sous la route d'accès à la cascade du Rognon
et permettant au ruisseau de se jeter dans le Doubs
2011
présentation du projet de réhabilitation et de micro-centrale hydroélectrique
2012 - 2013
travaux de réfection du cours du Rognon et construction de
la micro-centrale hydroélectrique alimentée par une conduite forcée
fin octobre 2013
mise en service de la micro-centrale hydroélectrique
septembre à octobre 2018
redimensionnement du puits n° 2, reprise de l'étanchéification de la seconde galerie,
reconstruction de la fenêtre d'accès et pose d'une porte métallique
Bibliographie et crédits photographiques
Écoulement des eaux d'inondation du plateau de Champlive 1844 - 1903
(Archives départementales du Doubs).
Spelunca, Recherches spéléologiques dans la chaîne du Jura :
3ème campagne, 1900-1901, bulletin n° 27, tome IV,
(Eugène Fournier, Maréchal, 1901).
Grottes et rivières souterraines (Eugène Fournier, La Solidarité,
1923).
Les eaux souterraines (Eugène Fournier, Imprimerie de l'est,
1926).
Cavernes, Le bassin de Champlive et le gouffre du Seu à
Dammartin-les-Templiers, bulletin n° 2 (Yves Aucant, 1973).
A.S.E., bulletin n° 12 (Association spéléologique de l'est,
1975).
Contribution à l'étude des bassins karstiques de la région de
Champlive (Doubs) (Christian Pasquier, Université de Franche-Comté,
1975).
Enfonçure, La grotte supérieure de la source du Rougnon,
bulletin n° 1 (Yves Aucant, 1975).
relevés hydrologiques réalisés par la S.H.A.G. (novembre 1973).
articles du quotidien La République.
articles du quotidien L'Est Républicain.
articles des bulletins municipaux du village de Laissey.
archives municipales du village de Dammartin-les-Templiers.
crédits photographiques :
droits réservés pour les ayants droit non identifiés.
avec l'aimable autorisation de M. Olivier Gaudillat pour la
photographie du village de Champlive inondé le 9 mars 2006.
avec l'aimable autorisation de M. Stanislas Thouret pour la
photographie de la cascade du Rognon verglacée lors de l'hiver
1971.