Considérer un monument aux morts comme une curiosité peut sembler une idée
surprenante, mais Laissey peut s'enorgueillir de posséder l'un des plus beaux
cénotaphes polychromes de la région érigé pour commémorer et honorer les siens
disparus pour la France.
De plus, à une époque où les dates de commémoration perdent toute signification
et ne sont plus que des jours fériés pour certains, il n'est pas superflu de
rendre hommage à ceux qui nous ont permis de vivre en paix aujourd'hui.
Une pensée pour mes camarades soldats, sous–officiers et officiers de la
Grande Guerre dont le sacrifice a permis que je n'ai jamais eu à tirer sur
un pauvre type qui ne m'a rien fait.
Les monuments aux morts sont quasiment inexistants avant le XIXème siècle. Ce
n'est qu'au début de ce dernier qu'ils apparaissent. Ils commémorent alors les
victoires militaires napoléoniennes et portent rarement les noms des soldats
morts aux combats. Dans le cas contraire, comme pour L'Arc de Triomphe sur la
place de l'Etoile à Paris, construit de 1806 à 1836, seuls les noms des
officiers supérieurs, morts ou vivants, sont inscrits sur les édifices, les
militaires du rang et les sous-officiers étant les grands oubliés.
La guerre franco-allemande de 1870 marque la première vague de construction de
monuments aux morts. Bien que leur nombre soit au final faible, moins d'une
cinquantaine, ils constituent cependant les premiers exemples de cénotaphes
rendant hommage aux morts pour la Patrie citant à égalité les hommes de troupe
et les officiers. Érigés à partir des années 1880, ils sont tous différents, car
réalisés par des artistes confirmés, contrairement aux monuments de la Première
Guerre mondiale souvent produits en série.
Un cénotaphe est un monument élevé à la mémoire d'une personne ou d'un groupe
de personnes et qui ne contient pas de corps. Le Panthéon de Paris contient
quelques cénotaphes célèbres dont ceux de Joséphine Baker et Jean Moulin.
Ce n'est qu'après la "Grande Guerre" que leurs édifications connaissent un
véritable essor, y compris dans les anciennes colonies des différents pays
européens belligérants ou chez leurs alliés. Ils deviennent alors partie
intégrante des villes et des villages au même titre que l'église, la mairie ou
l'école.
En France, des grandes villes aux plus petites communes rurales, toutes
construisent un monument et y font inscrire les noms de leurs morts militaires.
La principale période de construction se situe dans les années 1920. On dénombre
alors 30 000 réalisations entre 1918 et 1925 en France, soit quinze
inaugurations par jour les trois premières années d'après-guerre.
Cet "engouement" exprime ainsi le traumatisme créé par ce premier conflit
mondial et amène, non pas à glorifier la victoire, mais plutôt à honorer ceux
qui ont perdu la vie et se sont sacrifiés pour "la Der des Ders". Ainsi, la très
grande majorité des monuments élevés à cette occasion le sont à l'initiative des
anciens combattants qui formaient 90 % des hommes de 20 à 50 ans en France
à cette époque. Leurs constructions sont subventionnés par les États, les
communes, les associations d'anciens combattants, mais aussi par des
souscriptions publiques qui représentent, bien souvent, la majeure partie des
sommes nécessaires à la réalisation des travaux.
Dans la plupart des pays, les noms des morts de la Seconde Guerre mondiale puis
des guerres de décolonisation furent ajoutés à la liste de ceux disparus lors de
la Première Guerre mondiale (Indochine et Algérie pour la France, Viêt Nam pour
les États-Unis). Plus récemment, certaines communes ont décidé d'y mentionner
les militaires morts lors de missions de maintien de la paix dans des pays tels
que la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo ou l'Afghanistan.
Ma chère Marie,
je viens de rentrer de Belfort ce matin 28. Je suis éreinté, car je suis
allé jusqu'en Alsace. J'ai porté un pli à Montreux-Vieux, mais en Alsace,
cela a l'air bien calme.
J'ai vu tirer le canon, mais je n'ai pas vu tirer un seul coup de fusil par
l'infanterie.
Avec ta lettre de ce matin, j'ai eu également une carte de Maurice. Il me
dit qu'il va très bien maintenant.
Tu verras, l'homme qui est avec moi sur la carte est notre cuisinier. Comme
tu le vois, il se porte bien, c'est un cafetier.
Si j'ai le temps, bientôt, je t'écrirai une lettre. Mais, je me couche.
Bien des choses au Père et à Mauricette. Sans oublier Maurice. Et pour toi,
ma chère femme, de gros baisers.
Un affectueux bonjour à toute la famille.
Au revoir, ma chérie.
Témoignage d'un soldat anonyme
Ougney-Douvot, 28 mai 1915
Les différentes formes de monuments aux morts
Les premiers cénotaphes s'inspirèrent de stéréotypes architecturaux, en
particulier grecs ou romains, comme les arcs de triomphe.
Produits en grande série et fournis clés en main, les monuments aux morts de la
"Grande Guerre" sont le plus souvent en forme d'obélisque. Cependant, certaines
communes choisirent d'autres styles tels un mur formant une stèle monumentale,
une colonne ou une statue représentant un poilu ou une déesse de la Victoire.
Quelques-unes édifièrent des monuments pacifistes, en forme de colonne brisée,
en signe de contestation à cette maudite guerre.
Histoire du monument aux morts de Laissey
Afin de commémorer ses morts et fort de l'élan suivant la Première Guerre
mondiale, Laissey se devait d'ériger son monument aux morts.
À partir de 1921, un comité pour la construction d'un cénotaphe fut créé.
Présidé par M. François Bost, ancien combattant et grand blessé, cette
association organisa des concours, établit des listes de souscriptions et déposa
des troncs chez les commerçants du village. A la fin de l'année 1922, une somme
de 3 118,75 francs avait été réunie.
Fort de cette cagnotte, le choix du comité se porta sur un modèle fourni par les
établissements Rombaux-Rolland à Jeunot dans le Nord. Le monument, en granit
beige, était et est toujours surmonté d'un poilu polychrome de type "sentinelle"
de 1,60 mètres en fonte bronzée pour une hauteur totale de
3,35 mètres. À l'origine, le fusil du poilu devait comporter une baïonnette
rapportée en aluminium. Mais, cet accessoire fut supprimé à l'époque pour une
raison ignorée. Cette lacune sera corrigée de nombreuses décennies plus tard...
L'emplacement initial avait été choisi en plein centre du vieux village, le
propriétaire du terrain ayant donné son accord verbal. Malgré le vote d'une
subvention de 1 000 francs par le Conseil municipal, il restait
cependant 2 181,25 francs à trouver pour boucler le budget total de
6 300 francs et à contourner les difficultés qui ne vont cesser de
s'enchaîner.
Tout d'abord, le Conseil municipal avait demandé à la Préfecture du Doubs une
aide pécuniaire pour la somme restant à couvrir. Or, l'État n'accordait un
financement qu'aux organismes publics et le comité des anciens combattants était
une association d'ordre privé. Pour obtenir la subvention, la commune dut
prendre à sa charge la construction du monument aux morts.
Puis, ce fut au tour du propriétaire du terrain de revenir sur sa parole et de
refuser de céder l'emplacement promis. Un nouveau site fut donc trouvé dans le
talus de la "maison Sarrazin", sur le côté gauche de la route menant au pont
actuel. Mais, face au coût important de construction d'un mur de soutènement
pour construire une plate-forme, le projet fut à nouveau reporté.
Dans une lettre du 13 novembre 1923, l'instituteur, monsieur Lotz, rendait
compte de la manifestation qu'il avait organisée à son initiative à l'occasion
du cinquième anniversaire de l'Armistice. Le village n'ayant toujours pas de
monument aux morts, la commémoration eut lieu dans l'école des garçons le samedi
10 novembre, avant la fin de la classe du soir. Les noms des disparus furent
inscrits sur le tableau noir. Les élèves procédèrent à l'appel aux morts et
chantèrent des airs patriotiques.
Un nouvel emplacement fut enfin trouvé, devant la gare de voyageurs. Mais, le
terrain appartenant à la Compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon et à la
Méditerranée (PLM, ancêtre de la SNCF), il fallut moult discussions pour
parvenir à un accord de vente le 4 novembre 1925. Le terrain de 43 centiares fut
cédé à la commune pour un montant de 47 francs.
Cependant, les travaux ayant commencés sans la permission de la Compagnie du
PLM (!), le monument aux morts put enfin être inauguré lors d'une cérémonie
officielle le 11 novembre 1925.
En 2006, son socle, très dégradé par les outrages du temps, fut remplacé pour un
montant de 9 200 euros. Le poilu en profita pour faire un brin de
toilette et retrouva des couleurs. Son fusil fut enfin pourvu d'une
baïonnette !
Au printemps 2019, une restauration complète du monument aux morts est
effectuée : sablage et peinture des barrières, démontage du poilu pour
"raccommoder et reteindre" son uniforme qui n'était plus guère
présentable, ...
Cloche de la chapelle de Laissey le 11 novembre 2018 à 11H00
À l'occasion du centenaire de l'armistice de 1918 et comme partout en
France, le 11 novembre 2018 à 11H00, l'unique cloche de la
chapelle de Laissey sonna à toute volée pendant onze minutes.
Que de déplacements !
Si l'emplacement initial était devant la gare PLM puis SNCF, les vicissitudes
urbaines firent que le monument aux morts fut déplacé une première fois en 1955
afin d'améliorer l'accès à la route menant au pont traversant le Doubs. Puis,
pour les mêmes motifs, il fut à nouveau déplacé en 1970 où il occupe désormais
son emplacement actuel depuis cette date.
Liste des morts pour la France de Laissey
L'attribution de la mention Mort pour la France fait l'objet des articles
L. 488 à L. 492 bis du Code des pensions militaires d'invalidité
et des victimes de la guerre. Cette inscription sur l'acte de décès d'une
personne a été instaurée dans la loi française en avril 1916.
C'est une récompense morale visant à honorer le sacrifice des combattants morts
en service commandé ou des victimes civiles des guerres.
Au total, 28 Laisséens civils ou militaires ont donné leur vie pour la France :
2 personnes lors de la Guerre franco-allemande (1870 - 1871) ;
20 personnes lors de la Première Guerre mondiale (1914 - 1918) ;
4 personnes lors de la Seconde Guerre mondiale (1939 - 1945) ;
1 personne lors de la Guerre d'Indochine (1946 à 1954) ;
1 personne lors de la Guerre d'Algérie (1954 à 1962).
3,7 % de la population de Laissey ont laissé leur vie durant la Première
Guerre mondiale. Ce pourcentage se situe dans la moyenne basse de la région. En
effet, à l'image de nombreux villages industriels comme son voisin Ougney-Douvot
(2,5 % de morts), l'activité de l'entreprise Bost nécessitait une
main-d'œuvre qualifiée. En faisant revenir du front les ouvriers, les
techniciens et les cadres nécessaires au fonctionnement de l'usine, elle permit
à certains d'éviter les affres de la guerre. Et, elle put ainsi participer à
l'effort de guerre et honorer les commandes de l'armée, les tenailles étant très
prisées pour la découpe des fils de fer barbelés des tranchées.
La Seconde Guerre mondiale, quant à elle, fut le conflit le plus meurtrier de
l'histoire avec, au total, plus de 60 millions de morts civils et
militaires. La France fut moins sévèrement touchée que lors de la "Grande
Guerre" : 567 600 morts civils et militaires contre
1 697 800 morts.
Guerre franco-allemande (1870 - 1871) : 2 morts
nom
date et lieu du décès / remarques
BOURRIGAULT Jean Baptiste André
né le 13/06/1846 à Coron (Maine-et-Loire).
mobilisé dans la Garde nationale mobile.
mort le 24/01/1871 à Laissey chez Eugène Mailley, cabaretier.
PALANTIN Claude Joseph
né le 25/08/1840 à Laissey.
mobilisé dans la Garde nationale mobile du Doubs (4ème bataillon, 3ème compagnie).
mort le 25/02/1871 à Besançon.
Première Guerre mondiale (1914 - 1918) : 20 morts
nom
date et lieu du décès / remarques
BALLET Henri Alfred
mort le 26/07/1915.
BLONDEAU Marc Auguste
né le 21/05/1896 à Laissey.
soldat de 2ème classe au 172ème Régiment d'infanterie.
mort des suites de ses blessures le 06/04/1917 à Caudéran (Gironde) à l'hôpital auxiliaire n° 7.
inhumé dans le carré militaire du cimetière des Pins Francs à Caudéran (Gironde).
BOST Francis Élysée
né le 03/06/1894 à Laissey.
maréchal des logis au 217ème Régiment d'artillerie de campagne (maître pointeur).
mort des suites de ses blessures (intoxication par gaz) le 14/03/1918 à Rambluzin-et-Benoite-Vaux (Meuse).
inhumé dans la Nécropole nationale d'Haudainville (Meuse), tombe n° 103.
CORROTTE Léon Donat Marie
né le 04/01/1882 à Laissey.
soldat de 2ème classe au 133ème Régiment d'infanterie.
tué à l'ennemi le 08/07/1915 à Ban-de-Sapt (Vosges) au hameau de La Fontenelle.
inhumé dans la Nécropole nationale de La Fontenelle à Ban-de-Sapt (Vosges).
CORROTTE Henri Alfred Joseph
né le 05/09/1892 à Laissey.
mort le 13/04/1915 à Laissey.
inhumé à Laissey.
DONY Clément François
né le 26/02/1890 à Rignosot (Doubs).
sergent au 35ème Régiment d'infanterie.
tué à l'ennemi le 26/07/1918 à Belval-sous-Châtillon (Marne) dans la forêt du Bois de Courton.
inhumé à Laissey.
GRANDMONTAGNE Léon Marie Gaston
né le 23/04/1889 à Liebvillers (Doubs).
sapeur-mineur au 7ème Bataillon du génie, 13ème compagnie.
tué à l'ennemi le 28/02/1915 à Perthes-lès-Hurlus (Marne).
inhumé dans la Nécropole nationale de Suippes (Marne), tombe n° 3600.
GROSS Émile
mort le 24/08/1914.
GRUX Henri Auguste Alexandre
né le 23/10/1898 à Deluz (Doubs).
soldat au 53ème Régiment d'infanterie.
tué à l'ennemi le 02/11/1918 à Voncq (Ardennes).
contremaître de profession.
HANTZERG René Joseph Alphonse
né le 07/11/1895 à Laissey.
soldat de 2ème classe au 60ème Régiment d'infanterie.
mort des suites de ses blessures le 25/09/1915 à Jonchery-sur-Suippe (Marne) à la ferme des Wacques.
mort le premier jour de la seconde bataille de Champagne.
LAMBLIN Albert
né le 29/03/1887 à Rougemontot (Doubs).
soldat de 2ème classe au 55ème Bataillon de chasseurs à pied.
tué à l'ennemi le 29/08/1914 à Bray-sur-Somme (Somme).
MARCHE Albert Alphonse Maxime
né le 05/07/1885 à Laissey.
soldat de 2ème classe au 371ème Régiment d'infanterie.
tué à l'ennemi le 06/12/1915 à Bistraner-Dubjiani (Serbie).
PEGEOT Jules Émile
né le 09/04/1893 à Ougney-Douvot.
soldat de 2ème classe au 15ème Bataillon de chasseurs à pied.
mort des suites de ses blessures le 21/09/1915 à Bussang (Vosges).
PFINGSTAG Alphonse Albert Émile
né le 13/07/1894 à Amagney (Doubs).
soldat de 2ème classe au 35ème Régiment d'infanterie, 5ème compagnie.
tué à l'ennemi le 29/09/1915 à Souain-Perthes-lès-Hurlus (Marne) à la ferme des Wacques.
mort le cinquième jour de la seconde bataille de Champagne.
PRAT Louis François
né en 1896 à Paris.
caporal au 260ème Régiment d'infanterie.
tué à l'ennemi le 22/03/1915 à Traubach-le-Haut (Haut-Rhin) lors d'un bombardement aérien.
inhumé dans la Nécropole nationale d'Altkirch (Haut-Rhin), tombe n° 834.
RACINE Fernand Arthur Stanis
né le 02/09/1893 à Laissey.
soldat de 2ème classe au 42ème Régiment d'infanterie.
tué à l'ennemi le 04/10/1914 dans la région du Berry (Oise).
ROBERT Léon
né en 1906.
mort des suites de ses blessures le 12/09/1927 à Laissey.
SARRAZIN Francis Eugène
né le 06/02/1875 à Lons-le-Saunier (Jura).
médecin dans le civil, il a exercé son art pendant le conflit.
mort des suites de maladie le 16/05/1917 à Royan (Charente-Maritime).
époux d'Antoinette Lorrain, la sœur aînée de la mère de François Mitterrand.
ils eurent deux enfants : Yvonne, née à Laissey en 1914, et Pierre, né à Jarnac en 1915.
inhumé dans le tombeau familial des Lorrain à Jarnac (Charente) au côté de François Mitterrand.
actes de décès des soldats de la Guerre franco-allemande enregistrés à
Laissey
MémorialGenWeb.
relevés nominatifs du monument aux morts de Laissey sur le site
MémorialGenWeb.
relevés nominatifs du monument aux morts de Séchin sur le site
MémorialGenWeb.
relevés nominatifs du monument aux morts de de Besançon des guerres
d'Indochine, de Corée et d'Afrique française du Nord sur le site
MémorialGenWeb.
fonds d'archives conservés par le Secrétariat Général pour l'Administration
(S.G.A.) du Ministère de la Défense sur le site
Mémoire des hommes.
Articles L. 488 à L. 492 bis du Code des pensions
militaires d'invalidité et des victimes de la guerre sur l'attribution
de la mention "Mort pour la France".
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Benh
Lieu Song, Wikipédia, pour la photographie de L'Arc de
Triomphe sur la place de l'Etoile à Paris.