Daté de 1627, le calvaire est situé à l'entrée de l'Impasse Malle Planche. Avec
son piédestal, il mesure environ deux mètres de haut. Aujourd'hui vide, une
petite niche, au centre des croisillons, devait contenir une petite statue ou
une plaque métallique gravée représentant le Christ ou la Vierge Marie. Outre la
mention 1627, un triangle surmonté d'une croix est gravé sur son fût.
Si un triangle seul représente la Trinité (le Père, le Fils et le Saint-Esprit),
l'ajout d'une croix a une signification plus complexe. En règle générale, ce
symbole indique la présence d'une chapelle ou d'une paroisse. Mais, il fut aussi
utilisé par les Templiers comme emblème du Golgotha, la colline à l'extérieur de
Jérusalem sur laquelle les Romains crucifiaient les condamnés, puis repris par
les Francs-maçons. Rien ne permet d'ailleurs d'affirmer qu'il fut tracé en même
temps que l'inscription de la date. Il a pu être apposé de très nombreuses
années après.
Les motifs de la présence de ce calvaire à cet endroit sont inconnus.
Originellement, il ne se situait d'ailleurs peut-être pas en ce lieu et fut
peut-être déplacé. En l'absence de documents historiques, plusieurs théories
peuvent être envisagées afin d'éclaircir une partie du mystère.
Épargné par la guerre ?
Au début du XVIIème siècle, la Franche-Comté était toujours espagnole
et de nombreuses guerres furent menées pour la rattacher à la France.
En remerciement d'avoir épargné le village des conflits et des ravages liés, ce
calvaire a pu être dressé. Or, durant cette période, la région connut un certain
répit sous le règne de Philippe IV d'Espagne grâce au renouvellement par
l'archiduchesse Isabelle d'Espagne, en 1611, du pacte de neutralité entre la
France et la Franche-Comté.
Décidée par Louis XIII, poussé par le cardinal de Richelieu prétextant que
Besançon avait accueilli Gaston d'Orléans qui complotait contre l'ecclésiastique
avec le comte de Soissons, la Guerre de Dix Ans éclata. Mais, elle eut lieu
entre 1634 et 1644, soit huit ans après la date inscrite sur le calvaire.
Probabilité : 0 %
Affirmer sa foi ?
Une famille importante et aisée du village a pu faire ériger ce calvaire pour
affirmer sa foi et protéger les siens. Cependant, le geste n'étant pas toujours
désintéressé, le nom du commanditaire et son blason, lorsqu'il en possédait un,
y étaient systématiquement gravés. Or, aucune inscription nominative n'y
figure...
Probabilité : 0 %
Vade retro protestantisme !
Autre piste similaire à la précédente, la lutte contre le protestantisme.
Fortement présent dans le Comté de Montbéliard depuis le XVIème
siècle, il fit une percée vers le sud de la Franche-Comté au début du
XVIIème siècle. Une vaste campagne de remobilisation fut lancée par
le clergé afin de faire revenir à elle ses ouailles égarées.
Ce calvaire peut réaffirmer l'appartenance du village à la communauté
catholique, le triangle surmonté d'une croix symbolisant alors la paroisse de
Deluz-Laissey.
Probabilité : 20 %
Se protéger des brigands ?
Si, en ce début du XVIIème siècle, la Franche-Comté connaissait un
certain répit guerrier, cela ne signifie pas pour autant que tout était calme
dans les villes et les campagnes. Bien au contraire ! Des brigands, notamment
français, infestaient la région (entre 1624 et 1631, les prisons de Vesoul et de
Baume-les-Dames étaient pleines de malfaiteurs). Pire encore, certaines
exactions et pillages étaient dus aux soldats mal payés et inoccupés censés
protéger les populations locales et qui arrondissaient ainsi leur fin de mois.
Ce calvaire a pu dissuader les bandits de grand chemin de jeter leur dévolu sur
le village.
Probabilité : 30 %
Une croix de peste ?
En remerciement pour avoir préservé le village d'une épidémie de peste ou pour
s'en protéger, les villageois ont pu ériger cette croix de peste ou
anti-pesteux.
Or, ce calvaire ne présente pas les caractéristiques architecturales inhérentes
à ce type de croix. Son fût ne porte pas de traces de croisillons à écots
(excroissances ressemblant à des bourgeons) symbolisant les bubons de la
peste...
Cependant, si au cours du XVIIème siècle la Franche-Comté subit deux
grandes épidémies de peste, en 1636 puis en 1657, cette maladie fut endémique
durant toute cette période. Ainsi, en 1612 puis en 1629, elle frappa durement la
ville de Baume-les-Dames, proche de quelques kilomètres de Laissey.
Probabilité : 50 %
Lutter contre les intempéries ?
On a toujours tendance à penser que le temps s'est détraqué ces dernières
années. Mais, sans se prendre pour un grand climatologue ou nier certaines
réalités, la lecture de textes anciens révèle souvent bien des surprises à ce
sujet et montre que les phénomènes que nous croyons exceptionnels aujourd'hui
existaient déjà il y a quelques siècles...
Ainsi, si la première moitié de l'année 1626 fut dominée par les pluies (fortes
inondations à Baume-les-Dames le 16 août), la seconde moitié fut
excessivement chaude. Le mois de novembre fut même exceptionnel. Le 25 du même
mois, Madame la Comtesse de Cantecroix montrait à ses visiteurs de grosses
fraises mûres cueillies dans son jardin.
A contrario, l'année 1627 fut une vraie calamité : le printemps fut froid
et l'été pluvieux. Les cultures furent grandement touchées, en particulier les
vignes dont les raisins étaient encore en floraison au mois de juillet. Elles
furent vendangées seulement début novembre. La famine guettait.
Laissey étant un pays de vignes et d'agriculture modeste (quelques céréales), ce
calvaire était peut-être destiné à calmer le bon Dieu devant tant d'acharnement
à détruire le peu de culture qui poussait...
Probabilité : 70 %
Une croix mémorial ?
Ce calvaire fut peut-être tout simplement construit en tant que témoin d'un
événement particulier, bon ou mauvais, qui eut lieu en cet emplacement durant
l'année 1627 : assassinat d'une personne, "miracle", ... Cette pratique était
en effet fort courante à l'époque pour ne pas oublier l'événement ou afin
d'exorciser le lieu.
Probabilité : 70 %
Une croix de chemin ?
Sise sur l'un des chemins pédestres permettant de se rendre à la chapelle de
Notre-Dame d'Aigremont située à Roulans, ce calvaire a pu guider les pèlerins et
les protéger de l'inconnu et des mauvaises rencontres. Le triangle surmonté
d'une croix symbolise alors cette chapelle.
Probabilité : 80 %
Un déménagement ?
En 1568, une demoiselle Claude d'Amance habitait un manoir se trouvant à
l'emplacement de l'ancien passage à niveau, au centre du village de Laissey.
Cette noble dame faisait à l'église de Deluz une fondation de deux messes basses
pour chaque semaine de l'année :
le lundi, pour le repos de l'âme de ses parents défunts ;
le vendredi, en l'honneur des Cinq plaies du Christ.
Enfin, le samedi, une Salve Regina, une prière dédiée à la Vierge Marie, devait
être récitée et marquée par trois coups de cloche, le tout pour la somme de
9 francs.
Le curé de l'époque, Georges de Bressé, bachelier en théologie, avait la
possibilité de célébrer ces deux messes soit à l'église paroissiale, soit à la
chapelle dudit manoir. Dans ce dernier cas, il avait droit pour chaque
déplacement à Laissey à une collation.
Claude d'Amance eut pour héritiers la famille de Mugnans puis la famille
Contréglise.
Quel rapport avec le calvaire ? Appartenant à la famille Simon, le manoir fut
détruit lors de la construction de la ligne ferroviaire de Dijon à Mulhouse dans
les années 1850. Le calvaire était peut-être tout simplement la croix de la
chapelle de la belle demeure et, lors de sa démolition, les ouvriers, très
respectueux de cet objet religieux, l'ont tout simplement préservé et déplacé de
quelques dizaines de mètres sur le lieu où il se trouve actuellement.
Probabilité : 90 %
Conclusion
Parmi toutes celles citées, quelle est l'hypothèse la plus vraisemblable ?
Malheureusement, en l'absence d'archives probantes sur ce calvaire, à chacun de
se faire sa propre opinion.
Cependant, la probabilité d'un déménagement du calvaire du manoir de la famille
Simon avant sa démolition est une hypothèse réaliste. En effet, il ne faut pas
oublier un élément important qui vient appuyer cette thèse : un triangle
surmonté d'une croix est gravé sur le fût du calvaire. Or, cet emblème indique
la présence d'une chapelle. Celle du manoir ?
Bibliographie
La Franche-Comté au temps des Archiducs Albert et Isabelle (Paul
Delsalle, Presses universitaires de Franche-Comté, 2002).